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Il était l’un des trois élèves du lycée déportés à Auschwitz et le seul à avoir survécu. Samy Mizrahi nous a quittés le 9 avril dernier, à l’âge de 93 ans.

En décembre 2008, il avait accepté de faire le récit de sa déportation pour des élèves de première préparant le Concours national de la Résistance et de la Déportation sur le thème des « enfants et adolescents dans le système concentrationnaire nazi ».

Ce témoignage, publié par Amélycori et déposé depuis au Mémorial de la Shoah à Paris et au Yad Vashem de Jérusalem, est celui d’un enfant de la communale, « fils spirituel de Monsieur Navet (son instituteur) », juif « ni honteux, ni glorieux », revendiquant « son droit à l’indifférence », stoppé par la guerre dans sa quête d’intégration.

Cette volonté de se fondre dans la société française était celle de ses parents, Albert Mizrahi et Elise Bassan, nés en Turquie mais francophones grâce aux écoles de l’Alliance israélite universelle, arrivés en France au début des années vingt, naturalisés en 1927, installés d’abord à Paris, où Samy naît en 1928, puis à Rennes en 1938, où il entre au lycée, en classe de sixième.

Sa mère disparaît dès leur arrivée, Samy est épargné par le tri. Il survit, comme apprenti-maçon puis membre du personnel de l’hôpital, à la suite d’une série de hasards qu’il appelle ses boules blanches : « la survie est une loterie ! ».

De ces onze mois passés au cœur du système d’extermination nazi, le jeune lycéen a gardé l’expérience indicible de la peur, une peur qui l’a empêché de mûrir : « l’adolescent libéré est resté fondamentalement un adolescent ». Et, plus tard, beaucoup plus tard, est venu le temps de comprendre, « d’expliquer l’inexplicable ». Pour ne pas oublier. Parce que « la vraie leçon d’Auschwitz, ce n’est pas le nombre des victimes, c’est le nombre des bourreaux ». Qu’il y ait eu autant d’acteurs du massacre est « la seule leçon à retenir et à transmettre ».

A son retour en France, en avril 1945, il apprend que son père a lui aussi été déporté. Il ne connaîtra les détails de son sort que dans les années 1990, grâce aux recherches de Serge Klarsfeld : la rafle de mai 1944 à Marseille, le passage par Drancy trois mois après son fils, le convoi 73 vers les camps de Kaunas et Reval-Tallinn dans les pays baltes, et sa mort à Neuengamme en Allemagne, le 30 janvier 1945. C’est à l’occasion de cette découverte qu’il avait entrepris son premier travail de mémoire par un magnifique hommage à l’Absent, paru dans l’ouvrage consacré au convoi 73, Nous sommes 900 Français (Eve Line Blum-Cherchevsky, 1999-2006). La famille Mizrahi est aujourd’hui symboliquement réunie sur le Mur des Noms du Mémorial de la Shoah, dalle n°28, colonne 10, rangée 1.

Après la guerre, le lycéen s’est efforcé « de reprendre la partie où elle s’était arrêtée, comme si rien ne s’était passé ». Médecine à Montpellier, internat dans le Gard, installation comme médecin de ville et de campagne à Bouillargues, près de Nîmes, où il exerce près de quarante ans jusqu’à sa retraite en 1990. Père, grand-père, arrière-grand-père.

Une vie ordinaire marquée cependant par une curiosité insatiable, trace de ses années de lycée où il avait eu « des profs excellents » et de ce sentiment de vivre en sursis depuis sa sortie du camp : « la vie n’a de sens que si chaque jour on apprend quelque chose », aimait-il à répéter.

Le docteur Mizrahi était membre de la Société d’Astronomie de France, du club d’échec et de lecture de sa commune, grand lecteur, amateur éclairé de musique et de peinture, parlant sept langues. Et, toujours, l’humour en bandoulière.

Dans les derniers messages partagés avec lui, il aimait à plaisanter sur son âge. Avoir atteint 91 ans était pour lui quelque chose de « grotesque » : « j’emploie ce mot parce qu’il me semble ridicule de rester planté là quand les forces ne sont plus en mesure de vivre pleinement, mais ce qui est encore plus grotesque, c’est que je n’ai aucune envie de mourir ! ».

Cette soif d’apprendre et cet attachement à la vie témoignent de son profond humanisme. Cet humanisme qui est finalement la plus belle réponse à la barbarie.

Pascal Burguin

Avec son épouse, dans leur maison de Bouillargues

Disparition
Écho des Colonnes, ÉdC-62
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