1792 Condorcet prévoit un « lycée » à Rennes
Le Journal des Savants ne s’arrête pas en 1789. Il existe des numéros correspondant aux années 1791,1792 et 1797 ; ils sont absents des collections du lycée, mais on peut les consulter ailleurs.
L’année 1792 est un « bon cru ».
On craint en ces temps troublés de trouver une publication de piètre valeur, il n’en est rien1. Les articles sont d’un excellent niveau et une évidence s’impose : la part belle faite aux sciences. Un grand nombre d’articles ont été rédigés par le grand astronome Lalande (Joseph Jérôme Lefrançois de Lalande, 1732-1807).
Les compte rendus de récits de voyage, bien enlevés, mettent l’accent sur les sujets à la mode, comme l’exploration des mers du Sud, (le pauvre La Pérouse, qu’est-il devenu ?). Le signataire Lalande (1732-1807) de ces intéressantes rubriques aura peut-être quelques ennuis par la suite, en attendant il signe fièrement « Mr de la Borde, ancien premier valet de chambre du Roi, gouverneur du Louvre, l’un des fermiers généraux de sa Majesté »2.
Parmi les sujets d’actualité… le lecteur s’arrête un moment sur ces réflexions concernant «la question de l’aliénation des forêts nationales » (CR de M. de Vozelles, mai 1792). Pourquoi ? Compiègne qui pourra !
Ce qui a retenu notre attention est un article du mois de septembre consacré au rapport présenté par Condorcet au nom du comité d’instruction publique, « organe d’un comité dans lequel on trouve des personnes du premier mérite, Mr Pastoret, Mr Lacépède, Mr Arbogast etc…» : un in octavo de 94 pages ! Le rédacteur du J.d.S. est Lalande en personne dont on n’attend pas qu’il minore la place faite aux sciences dans le texte.
Texte qui fait suite à l’imposant « rapport sur l’instruction publique » de « Mr de Talleyran-Périgord, ancien Evêque d’Autun » dont rend compte le JdS de janvier 1792. Talleyrand affirme que le but de l’instruction est « l’art plus ou moins perfectionné de mettre les Hommes en toute valeur, tant pour eux que pour leurs semblables, de leur apprendre à jouir pleinement de leurs droits, à respecter et à remplir tous leurs Condorcet (1743-1794) devoirs, en un mot à vivre heureux et à vivre utiles ».
L’ancien évêque détaille longuement les différents niveaux d’instruction, à la base, pense-t-il, « il est une instruction absolument nécessaire à tous, la société la doit à tous, non seulement elle en doit les moyens, elle doit aussi l’application de ces moyens ». Pour ce faire, il évoque des instituteurs « qu’il faut savoir choisir, honorer, récompenser »3.
| Lycée
« Lycée » est le nom de l’école qu’en -335 le philosophe grec Aristote (384-322) avait choisi de fonder à Athènes. Brillant disciple de Platon au sein de l’Académie, celui qui fut précepteur d’Alexandre, échoua par deux fois à succéder à son maître à la tête de l’école. Il décida donc de fonder la sienne propre. en louant des terrains à côté du gymnase dans le quartier du temple d’Apollon lycien (de Lycie). La nouvelle école qui disposait d’une bibliothèque et d’un « musée », proposait le matin des activités réservées aux disciples déjà formés. L’aprèsmidi elle était ouverte à tous. Les « savants » du XVIIIè siècle étaient férus d’Antiquité et ils admiraient en Aristote – entre autres choses – le maître du savoir empirique. Il n’est donc pas étonnant de voir le terme de « lycée » revenir sous leur plume, pour désigner l’institution phare du dispositif d’instruction envisagé. Pour Condorcet «Lycée » doit désigner le niveau universitaire. Pour Bonaparte l’échelon du secondaire étant au cœur du dispositif de formation des élites administratives dont il avait besoin, il lui réserve ce nom prestigieux de « Lycée ». A.T. |
Où l’on voit que l’on trouve de forts beaux écrits de cet homme intelligent et cultivé certes, mais aussi peu scrupuleux et âpre au gain.
Le rédacteur du J.d.S. admire « l’immensité et l’utilité des vues contenues dans cet ouvrage, (…), le texte est si précieux qu’il faudrait le copier littéralement, tout est classé, tout est ordonné ».
Mais revenons à Condorcet.
Son rapport « a le même objet [que celui de Talleyrand] quoique le plan soit différent ».
En voici les propositions :
« On a distingué 5 degrés d’instruction sous les noms :
1° d’Ecoles primaires
2° d’Ecoles secondaires
3° d’Instituts
4° de Lycées
5° de la Société nationale des sciences et des arts
Quelques extraits
1° « On placera une école primaire dans tous les arrondissements où se trouveront des villages éloignés de plus de 1000 toises d’un endroit qui renferme 400 habitants. On enseignera dans ces écoles à lire, à écrire, ce qui suppose nécessairement quelques notions grammaticales, on y joindra les règles de l’arithmétique, des méthodes simples pour mesurer un terrain,(…), une description élémentaire des productions du pays, des procédés de l’agriculture et des arts, le développement des premières idées morales… »
2° « Chaque district et de plus chaque ville de 4000 habitants aura une école secondaire ».
On y trouvera « quelques notions de mathématiques, d’histoire naturelle et de chimie nécessaire aux arts, des développements plus étendus des principes de la morale et de la science sociale, les leçons élémentaire de commerce ».
3° Le troisième degré de l’instruction, sous le nom d’Institut « embrassera les éléments de toutes les connaissances humaines ». Il en est prévu 110 au total : 1, 2, ou 3 dans chaque département, et 5 à Paris.
Lalande remarque qu’on y a « accordé une espèce de préférence aux sciences mathématiques et physiques, et on voit les raisons exposées avec autant de profondeur que d’esprit » .On ne s’étonnera pas de trouver ensuite sous sa plume une appréciation peu flatteuse sur les collèges de l’ancien régime où « on se bornait à un petit nombre d’objets, on doit les embrasser tous. On semblait n’avoir voulu faire que des théologiens et des prédicateurs, aujourd’hui on aspire à former des hommes éclairés. La lecture des Anciens n’est pas aussi utile qu’on l’a supposé jusqu’ici dans l’éducation ». On prévoit qu’« il y aura aussi une bibliothèque, un cabinet d’instruments de physique, des modèles de machines et d’histoire naturelle ainsi qu’un jardin pour la botanique et l’agriculture ».
Le principe de ces instituts recouvre en partie les principes de la scolarité dans les futures Ecoles centrales (Lakanal, 7 ventôse an III, 25 février 1795).
4° « On a donné le nom de Lycée au quatrième degré d’instruction »
« Toutes les sciences y seront enseignées dans toute leur étendue. C’est là que se formeront les savants. » (…) « C’est là aussi que devront se former les professeurs. ». Le lycée dans cette conception ce sont les Facultés plus l’IUFM.
« On se propose d’établir en France 9 lycées, à Paris, à Douay, à Strasbourg, à Dijon, à Montpellier, à Toulouse, à Poitiers, à Rennes, à Clermont-Ferrand ».
Les lycées tels que nous les entendons – établissements d’études secondaires succédant aux Ecoles centrales – seront créés par Bonaparte par la loi du 11 floréal an X, c’est-à-dire le 1er mai 1802.
Le Lycée de Rennes sera l’un des neuf premiers établissements de ce type créés sur l’actuel territoire français. (le conseil municipal de Rennes en avait été informé par une lettre du 26 pluviôse an X soit le 15 février 1802).
5° La Société nationale des sciences et des arts, composée d’environ 400 personnes (moitié à Paris, moitié dans les départements) correspond aux différentes académies et à l’équivalent de l’Inspection générale.
Lalande n’omet pas les encouragements à prodiguer à des « jeunes gens qui se sont distingués par leurs talens et leur conduite ». Ce projet de décret et la réflexion préalable de Talleyrand montre bien l’intérêt de l’Assemblée Nationale pour les questions d’éducation.
A partir de janvier 1791, le bandeau qui introduit chaque livraison mensuelle diffère totalement de que l’on a trouvé pendant des décennies, c’est-à-dire des compositions avec des volutes, des arabesques, des vasques etc… Nous avons ici une sorte d’affiche électorale : le passé avec ce château, une usine qui fume et des citoyens au premier plan.
Façon de marquer que l’on vient de changer d’ère.
Le premier article du numéro de janvier est consacré à la chimie. Les auteurs ? De très grands noms, on peut à ce moment parler de « république des savants ».
Jean-Noël Cloarec
.