Samy Mizrahi (1928-2022)
Il était l’un des trois élèves du lycée déportés à Auschwitz et le seul à avoir survécu. Samy Mizrahi nous a quittés le 9 avril dernier, à l’âge de 93 ans.
En décembre 2008, il avait accepté de faire le récit de sa déportation pour des élèves de première préparant
le Concours national de la Résistance et de la Déportation sur le thème des « enfants et adolescents dans le
système concentrationnaire nazi ».
Ce témoignage, publié par Amélycor1 et déposé depuis au Mémorial de la Shoah à Paris et au Yad Vashem
de Jérusalem, est celui d’un enfant de la communale, « fils spirituel de Monsieur Navet (son instituteur) », juif « ni
honteux, ni glorieux », revendiquant « son droit à l’indifférence », stoppé par la guerre dans sa quête d’intégration.
Cette volonté de se fondre dans la société française était celle de ses parents, Albert Mizrahi et Elise Bassan, nés en
Turquie mais francophones grâce aux écoles de l’Alliance israélite universelle, arrivés en France au début des
années vingt, naturalisés en 1927, installés d’abord à Paris, où Samy naît en 1928, puis à Rennes en 1938, où il
entre au lycée, en classe de sixième.
La défaite de 1940 et l’occupation interrompent brutalement cet itinéraire familial. Son père démobilisé à
Marseille, se retrouve en zone libre après l’armistice. Sa mère est dénaturalisée en 1941. Samy reçoit sa carte
d’identité d’étranger deux ans plus tard. A la rentrée de 1943, il est exclu de fait du lycée après le rejet par la
préfecture de sa demande de changement de résidence à Tresboeuf où les classes de premières se sont repliées.
Reclus avec sa mère au 39 ter boulevard de la Liberté, il suit les cours de l’Ecole universelle, jusqu’à leur arrestation
le 5 janvier 1944, premier acte du processus de déportation qui passe ensuite par la prison Jacques Cartier, Drancy
et finalement Auschwitz, le 7 février.
Sa mère disparaît dès leur arrivée, Samy est épargné par le tri. Il survit, comme apprenti-maçon puis
membre du personnel de l’hôpital, à la suite d’une série de hasards qu’il appelle ses boules blanches : « la survie est
une loterie ! ».
De ces onze mois passés au coeur du système d’extermination nazi, le jeune lycéen a gardé l’expérience
indicible de la peur, une peur qui l’a empêché de mûrir : « l’adolescent libéré est resté fondamentalement un
adolescent ». Et, plus tard, beaucoup plus tard, est venu le temps de comprendre, « d’expliquer l’inexplicable ». Pour
ne pas oublier. Parce que « la vraie leçon d’Auschwitz, ce n’est pas le nombre des victimes, c’est le nombre des
bourreaux ». Qu’il y ait eu autant d’acteurs du massacre est « la seule leçon à retenir et à transmettre ».
A son retour en France, en avril 1945, il apprend que son père a lui aussi été déporté. Il ne connaîtra les
détails de son sort que dans les années 1990, grâce aux recherches de Serge Klarsfeld : la rafle de mai 1944 à
Marseille, le passage par Drancy trois mois après son fils, le convoi 73 vers les camps de Kaunas et Reval-Tallinn
Photo figurant sur la carte d’étranger que
Samy Mizrahi avait dû demander après la
mesure de retrait de nationalité française
dont il avait été l’objet en 1943
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dans les pays baltes, et sa mort à Neuengamme en Allemagne, le 30 janvier 1945. C’est à l’occasion de cette
découverte qu’il avait entrepris son premier travail de mémoire par un magnifique hommage à l’Absent, paru dans
l’ouvrage consacré au convoi 73, Nous sommes 900 Français (Eve Line Blum-Cherchevsky, 1999-2006). La famille
Mizrahi est aujourd’hui symboliquement réunie sur le Mur des Noms du Mémorial de la Shoah, dalle n°28, colonne
10, rangée 1.
Après la guerre, le lycéen s’est efforcé « de reprendre la partie où elle s’était arrêtée, comme si rien ne
s’était passé ». Médecine à Montpellier, internat dans le Gard, installation comme médecin de ville et de campagne à
Bouillargues, près de Nîmes, où il exerce près de quarante ans jusqu’à sa retraite en 1990. Père, grand-père,
arrière-grand-père.
Une vie ordinaire marquée cependant par une curiosité insatiable, trace de ses années de lycée où il avait
eu « des profs excellents » et de ce sentiment de vivre en sursis depuis sa sortie du camp : « la vie n’a de sens que
si chaque jour on apprend quelque chose », aimait-il à répéter.
Le docteur Mizrahi était membre de la Société d’Astronomie de France, du club d’échec et de lecture de sa
commune, grand lecteur, amateur éclairé de musique et de peinture, parlant sept langues. Et, toujours, l’humour en
bandoulière.
Dans les derniers messages partagés avec lui, il aimait à plaisanter sur son âge. Avoir atteint 91 ans était
pour lui quelque chose de « grotesque » : « j’emploie ce mot parce qu’il me semble ridicule de rester planté là quand
les forces ne sont plus en mesure de vivre pleinement, mais ce qui est encore plus grotesque, c’est que je n’ai
aucune envie de mourir ! ».
Cette soif d’apprendre et cet attachement à la vie témoignent de son profond humanisme. Cet humanisme
qui est finalement la plus belle réponse à la barbarie.
Pascal Burguin
Avec son épouse, dans leur
maison de Bouillargues
Le témoignage de Samy Mizrahi a été publié sous le titre de « Curriculum mortis » dans le livre de Pascal Burguin intitulé « Un lycée dans la guerre, le lycée de garçons de Rennes, 1939-1945 » et publié en 2017 par l’Amélycor et la SAHIV.

